
Le « syndrome de Stockholm obstétrical » : comprendre la médicalisation systématique des naissances
Feb 10, 2025Le syndrome de Stockholm, phénomène psychologique où des otages développent des sentiments positifs envers leurs ravisseurs, offre une perspective saisissante pour analyser la relation complexe entre les personnes qui accouchent et le système médical actuel.
Cette analogie, combinée au concept de « soumission librement consentie », nous permet d'explorer les mécanismes subtils qui conduisent à l'acceptation et parfois même à la défense d'un système qui peut compromettre l'autonomie et la dignité des personnes lors de l'accouchement.
La construction d'une dépendance
Historiquement, l'accouchement était considéré comme un processus physiologique naturel, accompagné par des sages-femmes expérimentées. La médicalisation systématique des naissances, relativement récente dans l'histoire de l'humanité, n'existe que depuis environ soixante ans.
Cette transformation rapide s'est accompagnée d'un changement profond dans notre perception de l'accouchement. Comme le soulignent Laëtitia Négrié et Béatrice Cascales dans leur ouvrage « L'accouchement est politique », cette évolution a conduit à une pathologisation globale de la fécondité féminine, où le corps médical, souvent inconsciemment, est devenu l'agent du maintien d'un certain ordre procréatif.
Les mécanismes du conditionnement
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La médicalisation de l'accouchement
repose sur des mécanismes psychosociaux complexes qui s'installent bien avant la grossesse. Dès le plus jeune âge, notre société construit une vision du corps féminin comme intrinsèquement problématique et nécessitant une surveillance médicale constante.
Cette construction s'opère à travers la diffusion de récits traumatiques d'accouchement, normalisés et même valorisés dans notre culture.
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L'infantilisation systématique
constitue un autre pilier de ce conditionnement. Le système médical, à travers un langage et des pratiques spécifiques, remet constamment en question les sensations corporelles et les connaissances intuitives des personnes qui accouchent.
Cette dévalorisation des compétences s'accompagne d'une survalorisation de l'expertise médicale, créant ainsi un déséquilibre de pouvoir significatif.
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La cascade d'interventions
quant à elle, illustre parfaitement le concept de soumission librement consentie. Chaque intervention est présentée comme un choix libre - « vous êtes libre de choisir » - alors même que le contexte et les informations fournies orientent fortement la décision.
Les protocoles standardisés, présentés comme des garanties de sécurité, créent souvent les urgences qu'ils sont censés prévenir, justifiant ainsi rétrospectivement leur nécessité.
La paradoxale gratitude
Un aspect particulièrement révélateur de ce phénomène est le développement d'une gratitude excessive envers le système médical, même après des expériences potentiellement traumatisantes.
Cette réaction s'explique par plusieurs facteurs interdépendants. Le conditionnement social à la soumission médicale, renforcé par la vulnérabilité inhérente à la situation d'accouchement, crée un terrain propice à l'acceptation de pratiques qui, dans d'autres contextes, seraient considérées comme inacceptables.
Les pratiques médicales elles-mêmes, comme le soulignent Négrié et Cascales, contribuent à convaincre les femmes de leur incompétence à savoir ce qui est bon pour elles.
Cette dynamique s'auto-renforce : plus on doute de ses capacités, plus on s'en remet au jugement médical, plus on perd confiance en ses propres ressentis.
Repenser l'équilibre entre sécurité et autonomie
L'obstétrique moderne possède des outils précieux pour gérer les situations qui nécessitent une intervention médicale. Cependant, son application systématique à tous les accouchements pose question.
Il ne s'agit pas d'opposer médecine et physiologie, mais de comprendre quand et comment l'intervention médicale est véritablement nécessaire et bénéfique.
Vers un nouveau paradigme
Le changement de paradigme nécessaire implique une transformation profonde de notre approche de la naissance. Cette transformation commence par la reconnaissance de la capacité innée des corps à enfanter, tout en maintenant l'accès aux soins médicaux lorsqu'ils sont réellement nécessaires.
La restauration de la confiance passe par une déconstruction active des mécanismes de soumission. Cela implique de reconnaître et de valoriser le savoir expérientiel, tout en intégrant les avancées médicales de manière respectueuse et non systématique.
Le rééquilibrage des pouvoirs nécessite de laisser la personne qui accouche au centre de ses propres décisions, en lui favorisant l'accès à une information complète et non orientée.
L'importance de l'accompagnement
Dans ce contexte, l'accompagnement par une doula prend tout son sens. Au-delà du soutien émotionnel et pratique, les doulas jouent un rôle crucial dans la rupture du cycle de la soumission librement consentie. Elles aident les personnes qui accouchent à :
- Retrouver confiance en leurs capacités innées
- Développer un esprit critique face aux protocoles standardisés
- Prendre des décisions véritablement éclairés
- Vivre une expérience d'accouchement qui respecte leur autonomie
Un appel à l'action
La prise de conscience des mécanismes de soumission est la première étape vers un changement. Si vous vous reconnaissez dans ces observations, sachez que des alternatives existent. L'accompagnement par une doula peut vous aider à naviguer dans le système médical tout en préservant votre autonomie et votre pouvoir de décision.
Références :
[1] Négrié, L. et Cascales, B. (2023). L'accouchement est politique : Fécondité, femmes en travail et institutions
[2] Joule, R-V. et Beauvois, J-L. (1987). Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens
[3] Wagner, M. (2001). Fish can't see water: the need to humanize birth
[4] Davis-Floyd, R. (2003). Birth as an American Rite of Passage
[5] Organisation Mondiale de la Santé (2018). Recommandations sur les soins intrapartum pour une expérience positive de l'accouchement